Nous les intranquilles.
Ce film est avant tout une œuvre collective, réalisé par le groupe vidéo du centre de jour Antonin Artaud de Reims et avec Nicolas Contant.
Quand Nicolas a débarqué au centre de jour avec sa caméra, on l’a beaucoup taquiné parce qu’on a bien senti qu’il ne savait pas trop ou cela allait le mener, mais assez rapidement des idées ont surgit et le projet du film collectif est né. Nicolas est arrivé un autre jour avec un sac rempli de caméras, de caméscopes, de micros et de matériel divers.
Nous étions une petite dizaine à nous réunir régulièrement dans la salle d’activités du premier étage, souvent les mêmes et parfois de nouveaux venus qui ne faisaient que passer. Certains avaient déjà une idée précise de ce qu’ils souhaitaient montrer ou mettre en scène.
Il y a eu des phases vraiment collectives ou nous réfléchissions aux messages que nous voulions faire passer, et d’autres moments où l’une ou l’un d’entre nous partait avec Nicolas et la caméra de son choix pour tourner sa séquence ; les caméras circulaient de mains en mains dans l’institution, les prises de vues s’enchaînaient, les visionnages aussi.
Pour ma part j’ai décidé de le faire venir là où je dispose d’un atelier et je savais ce que je voulais tenter de montrer, une projection de mon propre visage qui viendrait se superposer sur ma face dans ce décors que j’affectionne, celui de la forge, un sous-sol de la friche artistique La Fileuse. Nicolas a réalisé la prise de vue et mis en place le système de projection pour que mon image recouvre mon visage, il a soumis l’idée de me faire tourner la tête de droite à gauche, il a aussi rythmé mes mouvement de paupières, nous avons fait plusieurs prises. Le résultat m’a pleinement satisfait, j’avais choisi un morceau de musique en guise de fond sonore qu’il n’a pas été possible de garder à cause des questions de droits d’auteur, mais à la fin il a collaboré avec un musicien et l’arrangement musical qu’il m’a proposé correspondait bien à ce que je souhaitais.
Pendant les phases de travail collectif nous avons beaucoup ri, je me souviens particulièrement de la séance où il a débarqué avec un enregistrement vidéo de la réunion institutionnelle qui se tient le jeudi après-midi entre les professionnels qui bossent au centre de jour. Pour beaucoup d’entre nous cette réunion hebdomadaire est un grand mystère, il nous a proposé de regarder ce moment, une discussion s’est engagée pour savoir si oui ou non nous voulions entendre ce qui se disait. Finalement nous avons opté pour ne pas savoir, et nous avons proposé de faire un doublage son sur les images, ça donne ce qu’on peut voir dans le film, nous nous sommes bien amusés cette fois là aussi.
Fred.
Fin du 1er épisode
Deuxième épisode.
Encore un ! c’est ce que beaucoup se sont dit quand Nicolas a débarqué à l’assemblée générale du centre Artaud (Reims), encore un journaliste/documentariste qui vient chercher du sensationnel, et puis on discute avec lui, on fait connaissance, et finalement on l’intègre. Il n’est pas question pour lui de montrer la folie sous une forme violente, pas question de misérabilisme, de stigmatisation, l’ambition de son projet c’est de parler du « collectif » et on peut dire que dans ce centre de jour il est bien tombé pour aborder ce sujet.
Les prises de vue ont duré trois mois, ensuite il y a eu beaucoup d’aller-retour entre nous et Nicolas pour le montage. Certaines séquences rediscutées voire remontées ou tournées à nouveau.
Pour nous finalement c’est une occasion en plus de témoigner, d’aborder des thèmes qui nous sont chers, les soins en psychiatrie, la psychothérapie institutionnelle, tenter de démystifier la folie, démontrer qu’une prise en charge des fous respectueuse est possible…
C’est aussi une activité à laquelle on peut prendre part en plus de celles qui sont déjà proposées dans ce lieu de soins. Avec un principe qui nous convient bien dans le sens ou on peut rejoindre ce groupe vidéo à notre guise et en fonction de notre état, chacun y va de sa suggestion, de sa remarque. C’est pour beaucoup l’occasion de se saisir soi-même d’une caméra pour montrer ou dire quelque chose.
Dans ce film beaucoup de points sont abordés, la folie et le délire, l’hospitalisation, l’importance de la diversité des lieux où nous pouvons nous rendre (le cmp/cattp*, le(s) club(s) thérapeutique(s), le gem (La Locomotive)*, le jardin, les réunions de l’association HumaPsy*, la politique, les assemblées générales, les liens de confiance qui se tissent entre patients et soignants, le désaliénisme …
Plus de cent heures de rush, un gros travail pour faire le tri, sélectionner, agencer, donner une forme. Inévitablement à la fin ça donne un film un peu militant, preuve de notre « survivance », un film qui raconte comment tout en gardant nos singularités nous parvenons à faire fonctionner des collectifs qui permettent à un ensemble de tenir
Fin du deuxième épisode.
À Suivre ?
Fred
*cmp/cattp : Centre Médico Psychologique, cattp : centre d’accueil à temps partiel
*gem La locomotive : Groupe d’Entraide Mutuelle, http://gemlocomotive.wordpress.com
*Humapsy : association fondée par des patients, https://humapsy.wordpress.com
épisode trois.
C’est dans le train en revenant de Bruxelles ou le film a été projeté pendant un festival vidéo en santé mentale que je rédige ce texte. J’en aurais fait des voyage pour ce film, ce dernier à Bruxelles c’était vraiment intéressant, Il a permis de belles rencontres, avec deux personnes qui représentaient une association de patients, un psychiatre du club Artaud local, une psychologue, deux travailleuses sociales… J’adore Bruxelles ! La ville est si cosmopolite que la tolérance s’est posée d’elle même, Les galeries d’art qui ne se la raconte pas (trop), l’architecture …
La plupart du temps la projection est suivie d’un échange avec la salle, et souvent la même question revient : pourquoi « les intranquilles » ?
C’est une expérience curieuse que d’accompagner « le film », il y a la concertation, qui y va ? Comment on y va ? Puis l’organisation du voyage, le voyage, qui peut aller loin, je me suis retrouvé sur une île par exemple, bon c’était l’île d’Oléron mais étant rémois (de Reims) c’est quand même un voyage. Je suis donc resté trois jours sur l’île, hébergé une première nuit dans un camp de vacances, et la nuit suivante dans un lieu de résidence artistique ou je me suis dit qu’il faudrait que j’y revienne… L’océan, le port, la cote, la citadelle, impressionnant morceau de pierre et de béton, face aux marées.
La rencontre avec les organisateurs, jamais les mêmes, toujours sympa (pourvu que ça dure), ensuite vient la projection (je n’y assiste pas à chaque fois), et c’est le moment de la discussion avec le public…
le public, parfois salle comble, jusqu’à cent cinquante personnes, tantôt petite, vingt spectateurs. Il y a ceux qui se lèvent et partent sitôt le générique terminé, ceux qui restent et posent trois questions dans la même, les timides qui n’osent pas dire le fond de leurs pensées, Les professionnel(le)s qui aimeraient en prendre de la graine et ceux qui continuent à dire que la remédiation cognitive et la psychoéducation, l’éducation thérapeutique sont primordiales en plus des traitements sont de biens meilleurs traitements, alors on en parle. C’est à la fois impressionnant et passionnant, à chaque fois les échanges se poursuivent en dehors de la salle, on fait des projets, on dit qu’on va se revoir.
Une dimension politique finit toujours par infuser dans les débats, évidement, le film n’est pas un instrument de propagande. Mais il met en lumière une pratique d’un soin de l’autre qui produit des effets, il est propice à faire la démonstration d’une forme de « rétablissement », parce qu’il faut être à minima en forme pour accompagner cette production collective devant des gens qu’on ne verra probablement qu’une fois.
Fred.